MANIFESTE DES VOIX UNIVERSALISTES POUR UN MONDE COMMUN

PLATEFORME
ENSEIGNEMENT

INTRODUCTION

On assiste depuis plusieurs années à la multiplication préoccupante de revendications de nature identitaire, religieuse et communautariste, et le monde de l’enseignement n’est pas épargné. La plateforme Enseignement Les Universalistes est née du besoin et de la volonté de professionnels de l’enseignement de s’unir, tant pour s’entraider que pour mieux appréhender les enjeux qui secouent actuellement nos écoles francophones.

CONSTAT

Depuis la création du mouvement Les Universalistes, des témoignages nombreux et détaillés de directeurs et de professeurs nous parviennent. Ils révèlent tous que nos écoles font face à une contestation croissante de certains savoirs et à une immixtion de plus en plus marquée du religieux et du militantisme identitaire dans les affaires de l’école. Le recours à des formes de « pensée magique » se multiplient par ailleurs, demandant aux professeurs de déployer de plus en plus d’efforts pour apprendre aux élèves et étudiants la distinction entre croyances et savoirs. L’ampleur de l’homophobie, de l’antisémitisme et du sexisme au sein de certains établissements scolaires plonge également des individus et des minorités dans l’insécurité. De nos jours, ces problèmes ne proviennent plus seulement d’élèves et étudiants (ou de leur entourage), mais aussi de certains collègues.

MISSIONS

La plateforme enseignement Les Universalistes a pour missions de :

  • Promouvoir un enseignement universaliste fondé sur la raison et les connaissances. Un enseignement fondé sur l’étude de tous les champs du savoir, sur l’entraînement à la discussion argumentée et sur le développement de la liberté de conscience de chacun des élèves qui nous sont confiés.
  • Soutenir une École régie par la neutralité, qui vise la cohésion sociale et qui garantit l’égalité des êtres, chacun d’entre eux indépendamment de ses origines ou de toute autre particularité qui lui soit propre.
  • Aider tous les professionnels de l’enseignement dans leurs missions (qu’ils soient pouvoirs organisateurs, directeurs, professeurs, éducateurs, animateurs scolaires, etc.).

MEMBRES

  • 106 membres de la plateforme enseignement.
  • En majorité des professionnels de l’enseignement :
    • directeurs, professeurs, éducateurs, présidents de PO, psychologues, animateurs scolaires
    • niveaux primaire, secondaire, hautes écoles et universités francophones
    • tous les réseaux, officiel comme libre de Bruxelles et de région wallonne
  • Les autres membres sont médecins, artistes, juristes, journalistes, politiques, philosophes, juges, auteurs, sociologues, historiens.
  • Nous contacter : [email protected]

LES ENSEIGNANTS
TÉMOIGNENT

J’ai expliqué une règle d’accord du participe passé. Généralement ce n’est pas sur ça qu’on s’étripe ! Donc, je dis à l’étudiant comment accorder, un « s ». Il me demande pourquoi. Je lui explique. Il me dit « Êtes-vous sûre ? ». Je lui dis avec le sourire « Écoute, j’ai peu de certitudes dans la vie, mais ça, ça en fait partie ». Et il me répond « Mais pourquoi est-ce que je croirais une ancienne colonialiste ? » On en est là.
Je suis prof de sciences. Dès ma première année d’enseignement, j’ai été confrontée au refus de certains élèves d’étudier certaines matières pour des raisons religieuses. Par exemple, j’ai déjà eu des élèves qui se cachent sous leur banc quand j’affiche au tableau un schéma anatomique du système reproducteur masculin ou féminin. Ou bien d’autres qui prennent un marqueur noir indélébile et qui couvrent dans leur cours les parties du corps humains jugées indécentes.
La plupart des jeunes enseignants ne tiennent pas. Ce n’est pas valorisant pour eux. C’est un travail ingrat : on organise des voyages scolaires et puis on a mille problèmes pour trouver des sandwiches hallal, on fait face à des groupes qui ne veulent pas rentrer dans une synagogue, ou qui ne veulent pas voir des œuvres antiques parce qu’il y a un sein nu. Ce sont des choses qui nous épuisent.
Une fois, nous avons invité le père d’Ihsane Jarfi pour venir témoigner à l’école de l’assassinat de son fils homosexuel. La date de sa conférence a par hasard été fixée pendant le ramadan et les élèves ont voulu faire une pétition car ils estimaient que leur faire un « lavage de cerveau LGBT » pendant le ramadan était un non-respect total de leur religion qui interdit l’homosexualité et la condamne.
L’après Charlie Hebdo est un tournant. On a organisé des tables rondes ; j’étais à la table de mes collègues de religion et de mon collègue d’économie, et un collègue m’a dit « Mais tu sais, la Shoah, les camps et tout ça, c’est fort exagéré ». (…) Et je me demande : s’il ose me dire ça, à moi la prof d’histoire, il va le dire à ses élèves également ?
J’ai commencé dans l’enseignement sans titre pédagogique et sans aucune formation à la neutralité scolaire. Plus tard, quand j’ai réalisé l’agrégation, j’ai reçu trois petites heures de formation sur la neutralité alors que le Décret en prévoit vingt. Il n’y avait aucune mise en situation. Je n’ai même pas eu à passer un examen qui aurait pu attester de ma maîtrise ou non-maîtrise du principe de neutralité. Par la suite, quand je suis entrée en fonction dans une école du réseau officiel, on m’a demandé de signer le règlement de travail, c’est tout ; je n’ai jamais reçu la moindre information orale sur la neutralité scolaire.
Les élèves que nous avons devant nous, ils vivent dans l’immédiateté. Rechercher pendant x temps la solution à un problème, ça devient impensable. Or, aborder des notions de liberté d’expression, blasphème, génocide, etc. demande du temps, en plus d’un langage commun. (…) et nos élèves ne dominent plus le vocabulaire de l’abstraction. Exemple : ils me parlent de génocide de l’Occident contre les Palestiniens, alors on commence par aller voir la définition d’un génocide. Mais pour quelqu’un qui n’a pas de vocabulaire abstrait, c’est tout à fait incompréhensible cette définition. Et de toute façon, cette définition-là, je l’ai trouvée dans un livre fait par des Blancs occidentaux, elle n’a plus aucune valeur.
Je fais partie de la nouvelle génération de profs. Ce qui m’inquiète le plus, c’est d’observer chez certains collègues que les idées religieuses ont une valeur supérieure, disons plus respectables ou « intouchables » que les autres idées politiques ou philosophiques. Ça m’inquiète parce que les motifs religieux peuvent alors expliquer plein de comportements qui ne devraient pas être acceptés à l’école.
Mon problème c’est aussi le manque d’application du ROI dans l’école par l’ensemble du personnel. Par exemple, si les signes convictionnels sont interdits, il faut que toute l’équipe pédagogique ait la volonté de faire respecter la règle. Autrement, les quelques profs qui essayent de le faire deviennent des brebis galeuses racistes et intolérantes ! Dans mon école, c’est ce qu’il se passe. Alors on finit par laisser faire et se taire. Et ça n’arrange rien ! C’est comme la gestion de classe : si tu n’agis pas directement ou par la prévention, ça devient ingérable parce que ton cadre permet les dérives.
Il s’avère que la neutralité est très peu enseignée aux nouveaux professeurs. (…). Il est indispensable de prévoir une formation à la neutralité pour tous les professeurs qui entrent en fonction, même pour ceux qui ne sont pas encore passés par le cursus d’obtention d’un titre pédagogique reconnu par la FW-B.
Des étudiantes musulmanes soudanaises ont refusé de parler lors du cours d’expression orale pendant le cours de français. Cela leur était interdit. Devant mon insistance, elles ont pris la parole, bredouillé quelques mots, en mettant leur main devant leur bouche et en baissant la tête. Elles étaient totalement voilées, portaient l’abaya et l’autre main était cachée. Lorsque j’ai annoncé que l’exercice de communication n’était pas réussi, une bonne partie de la classe a jugé que j’étais intolérante et sans cœur.

DE L’IMPORTANCE
DE LA NEUTRALITÉ

La neutralité n’est ni de droite, ni de gauche, ni fermée ni ouverte, ni inclusive ni exclusive. Elle vise à assurer la paix civile et la cohésion sociale au sein d’une société où règne la pluralité convictionnelle. Elle inclut une neutralité d’apparence, car montrer, c’est dire. C’est pour garantir les libertés individuelles et l’égalité de droit que l’État s’astreint à être neutre et impose à ses agents de l’être et de montrer qu’ils le sont.

En matière scolaire, la Constitution (article 24, § 1er, alinéa 2), le code de l’enseignement prévoit que l’environnement éducatif de l’enseignement public soit régi par la neutralité. Ce principe de neutralité implique que l’École ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir, respecte la liberté de consciences des élèves et impose au personnel d’adopter une attitude réservée et objective tout en veillant à ce que, sous son autorité, « ne se développent ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisé par ou pour les élèves ».

Le code de l’enseignement précise par ailleurs que l’École a le devoir de transmettre les connaissances et les méthodes permettant aux élèves d’exercer librement leurs choix. Le personnel se doit d’exposer et de commenter « les faits avec la plus grande objectivité possible », la vérité devant être recherchée « avec une constante honnêteté intellectuelle » et la diversité des idées devant être acceptée. Enfin, le principe de neutralité impose d’éduquer les élèves au respect des libertés et des droits fondamentaux tel que défini par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de l’enfant.

LISTE DE
RECOMMANDATIONS

  • Préciser dans le Code de l’Enseignement ce que l’on entend par neutralité, de façon à exclure les dérives de la neutralité dite inclusive.
  • Rétablir l’obligation faite au Gouvernement de présenter au Parlement (à l’avenir annuellement) un rapport sur l’application du principe de neutralité.
  • Revoir, compléter et dispenser plus largement les formations initiales et continues à la neutralité, en y incluant des formations sur l’enjeu de la liberté de conscience et de son aboutissement dans nos sociétés sécularisées, sur la distinction entre science et croyance, ainsi qu’une sensibilisation à la nécessité de maintenir un enseignement exempt de censure, notamment dans les domaines scientifique et artistique. Ces formations devraient intervenir dès l’entrée en fonction des enseignants et dès la première année de leur formation pédagogique.
  • Refuser toute atteinte à l’égalité entre les hommes et les femmes, les garçons et les filles, a fortiori lorsqu’elle se traduit par une inégalité d’accès aux savoirs et activités scolaires pour les filles.
  • Créer au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles une cellule (disposant de moyens d’action appropriés) chargée de recueillir les témoignages et de soutenir les professionnels de l’enseignement dans leurs missions.
  • Interdire le port de tous les signes convictionnels dans les établissements tenus au respect du principe de neutralité, tant pour les élèves que pour le personnel, y compris dans les études supérieures dont la formation débouche sur un métier où la neutralité est de rigueur ou devrait l’être.
  • Charger l’Inspection de procéder à un contrôle effectif et régulier du respect du principe de neutralité dans tous les établissements où il s’applique, et d’inviter les pouvoirs organisateurs à engager les procédures disciplinaires adéquates chaque fois que cela s’avère nécessaire.
  • Rendre optionnels les cours de religion et de morale non confessionnelle, et mettre en œuvre un cours de philosophie et de citoyenneté de deux heures hebdomadaires dans le cadre de la grille horaire.
  • Mettre en place une formation obligatoire visant à s’assurer de la maîtrise, par tous les enseignants titulaires du cours de Philosophie et Citoyenneté, de la neutralité telle que définie dans le Code de l’enseignement remanié.
  • Former les professionnels de l’éducation à
    • la discussion philosophique, ce qui permettra de rappeler les distinctions entre croyance et hypothèse scientifique, mais aussi l’importance du langage en tant que convention permettant de s’accorder sur le sens des mots (nécessaire avant toute discussion).
    • l’humanisme des Lumières dans l’émergence des principes fondateurs de notre État de Droit, et le rôle de ceux-ci dans l’édification de nos démocraties modernes, fondées sur l’égalité de tous en dignité et en droits et le refus des discriminations.
  • Mettre en pratique la démarche scientifique dès la maternelle pour apprendre dès le plus jeune âge à réfléchir, douter et remettre en question ses propres croyances.